Que s’est-il passé depuis mon dernier message ? La semaine passée, une grande joie me fut donnée de vivre un pèlerinage magnifique avec vingt-cinq catéchistes et religieuses du diocèse. À Cotignac, la Vierge Marie, Notre-Dame de Grâce, nous a dit qu’elle est présente dans nos vies et donne la fécondité. Beaucoup de mamans viennent en ce lieu la remercier pour l’enfant reçu par son intercession. En 1660, son époux Joseph est apparu en ce lieu à un paysan, lui disant de soulever une énorme pierre afin de découvrir une source d’eau pour ses bêtes : il y parvint seul alors qu’on peut estimer que huit hommes sont nécessaires pour déplacer le rocher. Joseph lui ayant indiqué ce qu’il devait faire s’en alla comme il était venu, toujours avenant pour le travail des hommes. Nous sommes montés à pied de l’hôtellerie de la Sainte-Baume jusqu’à la grotte où la tradition rapporte que sainte Marie-Madeleine est venue vivre la fin de sa vie terrestre, dans la prière. C’est un espace large où je concélébrai l’eucharistie avec sept pères dominicains qui ont la garde de ces lieux où ils assurent l’accueil des visiteurs. Sainte Marie-Madeleine a-t-elle vécu effectivement dans cette grotte, demandent les visiteurs un peu dubitatifs ? La tradition provençale l’affirme. Les dominicains répondent que c’est probable et qu’il est certain qu’aujourd’hui c’est elle qui nous y reçoit. Il y a deux mille ans, les voies romaines et les moyens de navigation permettaient ces voyages. Les persécutions en Palestine justifiaient que les premiers chrétiens, surtout les disciples ayant côtoyé Jésus, s’éloignent pour vivre leur foi en paix et pour fonder de nouvelles communautés. Ils étaient désarmés, ils partaient sur les routes avec comme arme spirituelle les récits et les enseignements de Jésus. Ils comptaient sur la puissance de la Parole pour enseigner leurs auditeurs. Au cours des premiers siècles, la graine germa et la plante grandit, la foi se répandit vers le Nord, atteignant Lyon, puis Paris. Ce fut long car seule l’adhésion libre des personnes augmentait le nombre des chrétiens.

Ces faits eurent lieu il y a longtemps, loin de notre époque de sur-communication, des réseaux et des smartphones qui relient les quatre coins de la planète. Notre monde est toujours nouveau sans cesse en transformation. C’est pour cette raison que nous nous attachons à l’héritage reçu, les saintes écritures, la Tradition de l’Église qui s’approfondit depuis 2000 ans, le Magistère de l’Église c’est-à-dire les évêques, les saints et les théologiens. L’Esprit Saint éclaire le peuple chrétien qui, par le sensus fidei, « son flair » dit le pape François, discerne le chemin à emprunter. Ensemble et de tous états de vie, nous sommes à l’écoute des motions du Saint Esprit pour nous guider sur les nouveaux sommets de la foi, nous laissant entraîner vers des lieux où nous ne pensions pas aller, vers des personnes qui nous sont inconnues. Là est le projet de synodalité. L’Esprit Saint donne de vivre une aventure en nous orientant sur ces routes nouvelles. Par sa lumière, nous vivons notre relation à Jésus-Christ selon des formes renouvelées à l’écoute des cultures nouvelles qui sont celles de nos sociétés contemporaines à qui Jésus nous demande d’annoncer son Évangile. La Parole divine demeure et nous inventons des médias nouveaux pour la communiquer à ce monde que Dieu désire rejoindre et sauver. Il me semble que la mission devient palpitante si nous sommes disposés à l’aventure de la foi. Pour marcher sur cette route, notre nourriture est l’eucharistie reçue à la table du Seigneur. Ô Seigneur donne-moi de ce pain-là que je vive !

Ce moment ecclésial vécu lors de ce pèlerinage à l’école des saints fut marqué par une profonde communion. Comment était-elle possible ? Certes les participants sont catéchistes et partagent une même mission. Dès le premier jour dans le bus nous avons fait l’expérience féconde de la lectio divina, méditant seul en silence le passage de la femme courbée depuis dix-huit années que Jésus guérit un jour de sabbat. Plusieurs partagèrent le soir qu’ils se reconnaissaient dans cette femme courbée et que Jésus venait nous redresser. Cette expérience fut très heureuse. Par sa parole, Jésus nous rejoint et il le fait de manière plus particulière encore pour ceux qui, comme cette pauvre femme, ne sont pas considérés. Jésus voyait souvent ceux que les autres ignoraient. Il reconnaissait leur souffrance et discernait leur besoin, il les guérissait sans rien exiger d’eux, son amour les atteignait.

Alors que ce message vous parvient, nous évêques de France sommes à Lourdes pour prier, consulter, réfléchir et décider. On nous demande de prendre des mesures fortes et rapides suite au rapport de la CIASE sur les abus. Ceux qui souffrent depuis des décennies nous le disent ouvertement. Mardi dernier cinq personnes victimes ont longuement témoigné de leur souffrance. Ils citèrent l’épisode où Jésus dit à l’aveugle Bartimée : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » et Bartimée reçoit une vie nouvelle. Les recommandations de la commission ont été pensées en vue d’un plus grand bien. Maintenant, c’est le Saint Esprit qui nous invoquons pour comprendre les priorités. Ces victimes demandent à vivre en paix, elles nous le disent. Personne dans l’Église ne peut les ignorer.

Aussi, nous avancerons à l’écoute des victimes et des fidèles chrétiens chacun pouvant aider pour construire, en nous laissant éclairer par le Seigneur et en discernant en Église les choix à poser. Écouter l’Esprit dans le temps lui permet de nous surprendre et de nous enseigner, comme il le fit dans la vie des saints et des saintes. Il faudra encore du temps pour écouter les victimes que j’invite à se manifester. Il faut aussi du temps pour pardonner, quand cela sera possible. Bien entendu, se donner du temps ne peut être un prétexte pour ne pas faire ce qu’il faut faire. Notre Église est meurtrie par les faits révélés. Nous demeurons en communion auprès de Jésus-Christ car le mal ne nous séparera pas afin que pouvoir dans l’avenir continuer à annoncer le Royaume de Dieu.

Je prie le chapelet pour chacun de vous à la grotte de Lourdes. Crucifié, alors qu’il vivait les dernières minutes de son agonie, Jésus demanda au disciple Jean de prendre Marie comme mère et à sa mère d’accueillir Jean comme son fils. Jean représentait tous les disciples que nous sommes. Prendre Marie chez soi est un appel urgent, elle est la femme qui terrasse le démon, elle nous garde du mal et surtout elle nous enseigne toujours à faire tout ce que son Fils Jésus nous enseigne. (Cf. Jn 2,5) Nous prenons au sérieux ses messages et en ce lieu elle demande de prier le chapelet pour notre conversion et celle de la société où le sentiment d’injustice est fort. La violence n’est pas la réponse aux injustices car elle conduit au chaos, la force de l’amour puisé au cœur de Jésus est notre arme pour changer la société et nous engager comme membres de l’Église, tous ensemble.

Je vous propose de prier Notre-Dame à nouveau avec le père de Grandmaison :

« Sainte Marie, Mère de Dieu,
gardez-moi un cœur d’enfant, pur et transparent comme une source.
Obtenez-moi un cœur simple qui ne savoure pas les tristesses.
Un cœur magnifique à se donner, tendre à la compassion.
Un cœur fidèle et généreux, qui n’oublie aucun bien et ne tienne rancune d’aucun mal.
Faites-moi un cœur doux et humble, aimant sans demander de retour, joyeux de s’effacer dans un autre cœur devant votre divin Fils.
Un cœur grand et indomptable qu’aucune ingratitude ne ferme, qu’aucune indifférence ne lasse.
Un cœur tourmenté de la gloire de Jésus Christ, blessé de son amour
et dont la plaie ne guérisse qu’au ciel.
Amen »

+ Mgr Philippe Christory