Ce jeûne du carême ne nous pose-t-il pas question ? Est-il vraiment nécessaire ? Dans mon enfance, nous avions gardé l’habitude de ne pas manger de viande les vendredis de carême, d’aller en famille à la messe des cendres et de faire des efforts de carême. Faut-il moins pécher en temps de Carême ? Le péché n’est jamais autorisé… Donc jeûner n’est pas s’abstenir de pécher, car cela doit être notre vigilance permanente. De quoi jeûner alors et pour quoi ? Nous jeûnons de bonnes choses. Quand Jésus est poussé au désert quarante jours, il jeûne de la nourriture. Or la nourriture est bonne, surtout en France où nous avons de magnifiques traditions culinaires. Donc nous jeûnons de bonnes choses afin qu’en nous privant de celles-ci, le manque éprouvé rappelle la valeur d’un bien supérieur, c’est-à-dire le lien à Dieu et l’importance de notre solidarité envers ceux et celles à qui il manque ce bon nécessaire. Me privant ainsi de quelques bonnes choses, j’en garde le prix pour le partager. Le Christ n’a-t-il pas dit « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ? ». La vraie nourriture est la Parole divine que je trouve dans les Saintes Écritures. Notre marche de carême pourra associer un authentique jeûne de nourriture plus particulièrement les vendredis et chaque jour pour quelques sucreries ou alcool non nécessaires. Ajoutons à cela la méditation des textes de la Sainte Écriture pour que notre intelligence en soit illuminée. 

Mais d’où vient notre carême ? Quelles ont été les étapes historiques qui ont amené l’Église à le vivre comme un temps liturgique de préparation à la Fête de Pâques ? C’est tout d’abord le temps des quarante jours vécus par Jésus au désert qui inspira dès le IIIe siècle les chrétiens à vivre un jeûne intense. Ensuite l’Église le présenta comme une préparation en vue de célébrer la mort et la résurrection de Jésus-Christ. À cette époque, à Rome, on jeûnait tout au long de l’année les mercredis, vendredis et samedis. C’est parce que Jésus a toujours associé le jeûne à la prière (Mt 6, 1-18) que les Pères de l’Église insistent pour que les chrétiens pratiquent ce jeûne, associé à des rencontres communautaires de prière pour y entendre la Parole de Dieu. Quand l’Empire romain choisit le christianisme comme religion officielle au début du IVe siècle, nombreux furent ceux qui demandèrent le baptême, certains motivés par la foi, d’autres par le statut social. Tous devaient s’y préparer longuement. Au début, on comptait trois semaines de jeûne avant la résurrection. Puis dès la fin du IVe siècle on retint un carême de quarante jours avant la semaine sainte qui fut pour les futurs baptisés le temps de l’ultime purification. Les pénitents, eux aussi, écartés parfois longtemps de l’eucharistie, revenaient à la communion commune au terme de ce même carême, car Dieu avait réconcilié les hommes avec Lui par sa mort et sa résurrection. C’est ainsi qu’au Ve siècle, à l’époque de saint Augustin, le carême prit la forme que nous lui connaissons. On jeûnait en semaine, souvent plusieurs jours, mais jamais le dimanche, jour du Seigneur dédié à célébrer la résurrection. 

Pour conserver quarante jours de jeûne en excluant les dimanches, il fallut commencer le mercredi précédent le premier dimanche. L’usage des cendres n’arriva qu’au XIe siècle en rappel de ces nombreux moments dans l’Ancien Testament où l’on se couvrait de cendres en signe de pénitence. On peut rappeler le jeûne d’Esther qui se couvre de cendres avant de demander à l’empereur son époux le salut de son peuple destiné à l’extermination. Le prêtre impose les cendres sur le front de chacun y compris les clercs, en disant soit « souviens-toi que tu es poussière et que tu redeviendras en poussière » ou « convertissez-vous et croyez à l’évangile ». Cette démarche humble et publique demande à chacun un abaissement que nous ne sommes pas toujours enclins à vivre au quotidien. Se faire humble peut être difficile ; avec la foi nous pouvons convertir le sentiment mondain qui consiste à penser que nous devons être forts pour être respectés. En réalité, celui qui se fait humble obtient de Dieu de grandes grâces pour participer au salut du monde avec Jésus-Christ. La Vierge Marie n’est-elle pas le modèle parfait de cette attitude ? 

Aujourd’hui encore c’est l’évangile des tentations de Jésus qui ouvre ce temps de carême. Puis nous entendons la transfiguration de Jésus en haut du mont Thabor, car c’est lors de cet événement particulier que Jésus prépare les trois apôtres présents, Pierre, Jean et Jacques, à faire face à sa passion imminente. Mais c’est aussi à ce moment que Jésus se retrouva entouré d’Élie et Moïse qui eux aussi jeûnèrent au désert. 

Concernant nos catéchumènes, nous les entourons de notre prière durant ces jours de carême et au sein de l’assemblée dominicale ils vivent les trois scrutins. Quels sont ces scrutins ? Scruter n’est-ce pas entrer dans les profondeurs d’une réalité ? Ce sont des prières de libération du mal, appelées encore exorcismes. Lors de la messe du dimanche on lit les trois évangiles correspondant aux étapes de conversion qu’ils doivent passer : la Samaritaine au puits de Jacob, l’aveugle-né guéri par Jésus et la résurrection de Lazare mort depuis trois jours. Pour nos frères et sœurs, il s’agit effectivement de comprendre que Jésus donne l’eau vive du Salut, qu’Il délivre notre âme de ses aveuglements, qu’Il nous fait renaître à la vie nouvelle d’enfant de Dieu. Ces exorcismes sont célébrés pour arracher l’ivraie du cœur humain en vue d’un choix personnel et ferme en faveur du Christ mort et ressuscité, et donc ferme pour la vérité et la sagesse que donne l’Esprit Saint dans la méditation des Écritures. Quitter le vieil homme habitué à ses lourdeurs, à ses errements et à ses péchés n’est pas simple. Je vous parlais du combat spirituel récemment, et le candidat au baptême devra pouvoir compter en vérité sur les fidèles de sa communauté paroissiale pour prier pour lui quotidiennement et l’accompagner fraternellement. Le démon sait que le fruit du baptême est la vie divine aussi fera-t-il tout pour endormir le catéchumène, voire le décourager et le séparer de ses appuis. Au sein de sa communauté il sera gardé et avancera joyeusement vers ce baptême. 

L’urgence de prier pour la paix en Ukraine et en Europe continue. Certains sont inquiets et nous les comprenons. Je rencontrais des adolescents se préparant à la confirmation et ils me faisaient part de leur inquiétude. À leur âge, je n’ai jamais connu une telle situation. Les médias rendent immédiatement accessibles les vidéos. Tout est transmis sans filtre ni critère de discernement. Aux adultes, pas moins rassurés, n’est-il pas demandé une disponibilité pour échanger avec ces jeunes ? Cependant, comme chrétiens, nous ne voulons pas nous laisser aller au découragement mais nous allons, pas après pas, sur le chemin de notre vocation, avec notre famille, pour apporter à la société en ce temps de carême une espérance réelle accompagnée par la joie que nous cultivons en nous-mêmes. Un chant dit « soyons toujours joyeux et prions sans cesse. » Là est la bonne voie. Empruntons-la durant la semaine à venir pour garder notre regard sur Jésus. Espérons et prions pour que le président Poutine arrête sa guerre, mais aussi pour que la France se convertisse, elle qui a abjuré de sa foi, qui bafoue ses racines chrétiennes et qui souvent vote des lois iniques contre le respect de la Vie. Le carême peut être prophétique si, nous chrétiens, portons sur notre visage la joie, si « nous nous parfumons la tête » dit Jésus, c’est-à-dire si notre personne est revêtue de charité. C’est le temps de la mission, porteuse d’espérance et relai de la Parole de Dieu, source de lumière et de paix. Soyons des chrétiens responsables du Salut du monde : c’est plus que désirer une paix qui garantit notre confort et notre cadre de vie tranquille. L’enjeu est grand et nous le prendrons au sérieux, avec courage et détermination. Bon carême.

Prions Notre-Dame de la Paix pour notre société.

Ô Marie, Secours des chrétiens,
nous nous tournons vers toi dans nos nécessités ,
les yeux remplis d’amour ,
les mains vides et le cœur plein de désirs. 
Nous nous tournons vers toi
qui nous fais voir ton Fils, notre Seigneur.
 Nous levons nos mains
pour recevoir le Pain de la Vie. 
Nous ouvrons tout grands nos cœurs
pour accueillir le Prince de la Paix.

Mère de l’Église, 
tes fils et tes filles te remercient 
pour ta parole de foi qui traverse tous les âges,
 montant d’une âme pauvre, pleine de grâce,
 préparée par Dieu pour accueillir
le Verbe dans le monde
afin que le monde lui-même puisse renaître. 
En toi, s’annonçait comme une aurore
le règne de Dieu,
 règne de grâce et de paix, 
règne d’amour et de justice,
né du mystère du Verbe fait chair.
 L’Église répandue à travers le monde 
s’unit à toi pour louer Celui
 dont la miséricorde s’étend d’âge en âge.

O Stella Maris, lumière de tous les océans
et maîtresse des profondeurs, […] garde tous tes enfants à l’abri du mal, 
car les vagues sont hautes 
et nous sommes loin du port.
Tandis que nous avançons
 sur les océans du monde,
et que nous traversons les déserts de notre temps,
 montre-nous, ô Marie, le fruit de ton sein,
 car, sans ton Fils, nous sommes perdus.

Prie pour que
 nous ne tombions pas en chemin,
 pour que, dans nos cœurs
et dans nos esprits,
 en paroles et en actes,
 dans les jours de tumulte
et dans les jours de calme,
 nous gardions toujours
les yeux fixés sur le Christ en disant :
 « Qui est-il donc celui-là,
 que même le vent et la mer lui obéissent ? ».

Notre-Dame de la Paix,
en qui toutes les tempêtes s’apaisent peu à peu,
prie pour que l’Église […] ne cesse jamais de montrer
 la face glorieuse de ton Fils,
 plein de grâce et de vérité, 
afin que les hommes et les femmes laissent Dieu régner dans leurs cœurs
 et qu’ils trouvent la paix 
dans le vrai Sauveur du monde.

Ô Secours des chrétiens, protège-nous !
 Brillante Étoile de la mer, guide-nous !
 Notre-Dame de la Paix, prie pour nous !

Pape Jean-Paul II

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 22 novembre 2001, en la vingt-quatrième année de mon pontificat