Le Perche est une merveilleuse région du Centre de la France, dont une partie est située en Eure & Loir, vers l’ouest. On y découvre des collines et des vallons, de belles églises au cœur de charmants villages, des forêts et au croisement des routes, beaucoup de calvaires. Quatre jours au sein de la paroisse Saint-Lubin-du-Perche, en rayonnant depuis Nogent-le-Rotrou, m’en ont donné un aperçu heureux. La visite pastorale d’un évêque est l’occasion d’une plongée dans la vie des gens. J’ai ainsi découvert le lycée technique de Nermont, l’entreprise Vallégrain de découpe de viande de porc, le marché de Nogent. Lors des célébrations de la messe – dont celle dans la maison de retraite « La Charmeraie » –, ou lors de bénédictions diverses et au cours d’échanges avec des maires et des élus, j’ai perçu, un peu plus, les questions que se posent les habitants. J’ai été accueilli, avec générosité. Ce n’est pas un territoire profondément chrétien et la mission nous y attend. L’Esprit nous inspire de commencer toute rencontre en priant et en méditant la Parole de Dieu pour en être nourris et partager ensemble ce que Jésus nous dit au fond du cœur, afin de favoriser la communion pour construire un avenir missionnaire. Nous comprenons vite à la vue de nos pauvretés pastorales qu’il ne s’agit pas d’utiliser des trucs à la mode, mais de commencer par l’union à Dieu, par un processus de formation et de catéchèse qui ouvre à la communion et à l’intimité avec le Seigneur. En ce sens, une prière de Taizé rassembla une belle assemblée en l’église Notre-Dame de Nogent-le-Rotrou et ce fut une proposition adaptée à la rencontre de Jésus, tant les chants et l’adoration eucharistique permettaient à chacun une écoute intérieure du murmure de Dieu. Les couples de fiancés furent accueillis et bénis pour leur chemin vers leur noce.

Après le dimanche de lætare, dit dimanche de la joie ou de la réjouissance, nous continuons notre progression de carême puisque dans dix jours, ce sera la fête des Rameaux. L’Esprit Saint travaille en nous à la mesure de notre ouverture du cœur à son action. Nous sommes partis du mercredi des cendres où la Parole nous invitait à la prière, au jeûne et au partage. Comment cela s’est-il concrétisé ? Il n’est pas trop tard pour engager nos pas à la suite du Christ. Bientôt, nous revivrons sa douloureuse passion. Il donne sa vie pour nous sauver de la mort et nous entraîner vers la vie éternelle. Certes notre mort physique peut nous sembler lointaine voire inquiétante. Nous pouvons même parfois la nier. Pourtant, elle vient ! Et nous devons en prendre conscience pour poser un acte de foi envers la promesse accomplie par le Christ : Seigneur fais-moi désirer le Ciel, prépare-moi à la vie éternelle en ta présence et permets que je vive mon quotidien avec l’Espérance que la voie est ouverte et ma place préparée (cf. Jn 14,3). Alors tout ce qui advient ici-bas peut être lourd voire douloureux, ta Lumière éclaire ma vie et je t’en rends grâce. Ne laissons pas le temps s’enfuir inutilement en nous perdant dans l’illusion des bienfaits terrestres dont nous sommes tentés de faire le centre de notre vie. « Ceux qui font des achats, qu’ils vivent comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons. J’aimerais vous voir libres de tout souci. » (1Co 7,30-32)

Voici justement que la liturgie nous offre en ce 19 mars une lumière merveilleuse, la fête de saint Joseph. De lui, nous n’avons pas une seule parole dans l’Écriture Sainte. Mais les évangélistes décrivent plusieurs moments où sa place et sa foi furent décisives. Il est fiancé à Marie, exerce le métier de charpentier et voici que celle qu’il aime et que celle qui lui est promise est enceinte. Et cet enfant n’est pas de lui. Comment comprendre et faire confiance ? Jamais une femme n’a eu d’enfant sans rapports avec un homme. C’est la visite en songe d’un ange qui lui révèle le projet divin et son rôle « “Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés”. » (Mt 1,20-21) Alors Joseph acquiesça à la demande de Dieu : « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus. » (Mt 1,24-25) Ensuite il entend les paroles de Siméon au Temple et l’annonce du glaive qui transpercera le cœur de son épouse Marie. Il prend soin de sa femme et de leur enfant, les conduit à Bethléem puisque sa lignée remontait au Roi David qui venait de là. Il trouve une étable où naît le nouveau-né, parvient à le soustraire à la violence d’Hérode – grâce à un nouveau songe – et part en Égypte jusqu’à la mort de ce tyran. Plus tard, c’est lui qui apprend à Jésus son métier, qui veille sur lui durant sa croissance lui transmettant toute la tradition de ses pères. C’est lui, avec Marie, qui fait face à l’incompréhension lorsque Jésus, à douze ans, affirme devoir être dans la maison de son Père, le Temple de Jérusalem. Au-delà de ce moment, les évangiles ne parlent plus de Joseph, l’homme juste. A-t-il vécu encore longtemps ? Nul ne le sait. Il avait reçu et accompli pleinement sa mission : aimer Marie, protéger Jésus et l’éduquer dans les coutumes de son peuple, puis le laisser prendre son envol vers sa vie adulte. Le pape François a voulu que nous vivions une « année saint Joseph » à l’occasion du 150ème anniversaire de la déclaration de saint Joseph comme patron de l’Église universelle. Il nous donne une lettre apostolique Patris corde, le cœur du père. Ce texte développe la paternité de Joseph sous divers angles. À l’heure où le père est si souvent écarté dans notre société qui revendique des enfants sans géniteur et sans père pour l’éducation, à l’heure où une ministre d’État affirme que le père pourrait être une grand-mère permettant ainsi de déconstruire tout le modèle familial reconnu depuis la nuit des temps, Joseph inspire un regard d’Espérance si nous savons à l’instar du Saint Père le contempler dans sa modernité. Joseph n’est pas une image pieuse d’un autre temps : il est la figure de l’homme courageux, aimant, travailleur, protecteur, éducateur et père, discret et bien présent. Être un homme juste, c’est être ajusté à la grâce divine, c’est désirer chaque jour correspondre au projet d’amour voulu dès le commencement par Dieu. Il serait heureux de méditer sur la figure de Joseph en reprenant le texte du Saint Père : « Chaque fois que nous nous trouvons dans la condition d’exercer la paternité, nous devons toujours nous rappeler qu’il ne s’agit jamais d’un exercice de possession, mais d’un “signe” qui renvoie à une paternité plus haute. En un certain sens, nous sommes toujours tous dans la condition de Joseph : une ombre de l’unique Père céleste qui “fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (Mt 5, 45) ; et une ombre qui suit le Fils. »

Notre chemin de carême peut s’approfondir dans une union à Jésus toujours plus intime. Jésus est Dieu fait homme et par son humanité il expérimenta ce que nous vivons, il assuma nos sentiments humains pour la première fois jusqu’à pleurer. Il expérimenta en sa chair ce qu’il ne connaissait pas dans la Gloire de sa divinité. Il est le Fils de Dieu et nous l’honorons par notre adoration comme nous honorons le Père. En ces jours, en tous lieux, à l’église comme dans notre chambre, nous pouvons nous mettre en sa présence, méditer sa parole, lui confier des proches, intercéder pour notre société qui « a perdu le sens du bien, car dans son cœur, le fou déclare : Pas de Dieu ! » (Cf. Ps 52,2) Alors l’homme va jusqu’à tuer son prochain comme le fit ce jeune couple en assassinant Alisha, leur camarade de quatorze ans. On prépare la guerre. On désire la paix mais on ne désarme pas le cœur des hommes. On encourage l’euthanasie et l’avortement car on ne voit plus la dignité de la personne fragile et dépendante. L’homme blessé par tant de maux a perdu sa joie. Comme membres de l’Église, nous nous engageons sur un autre chemin, celui de l’Espérance que nous désirons communiquer aux jeunes, comme j’ai eu la chance de le vivre dans des établissements scolaires. Donner un avenir, voilà un beau défi, surtout à ceux et celles dont les familles sont tellement éprouvées qu’elles n’envisagent rien de bien. Comme le pape François nous le montre par ses voyages, la rencontre est déjà un message qui dit que l’autre a de la valeur et que le bonheur passe par l’échange entre nous. « Personne n’a le droit d’être heureux tout seul » disait Raoul Follereau, l’apôtre des lépreux.

Nous sommes heureusement témoins de la présence de Dieu dans le monde. Si nous sommes proches de Jésus par la prière, si nous invoquons souvent la Vierge Marie lui demandant de prier pour nous pauvres pécheurs, si nous laissons notre intelligence être éclairée par la Parole divine, alors subtilement, nous vivrons plein de Dieu et il y aura un débordement inconscient de sa présence à l’extérieur de nous-mêmes. Alors nos proches ressentiront par nos regards, notre écoute, nos mots que nous sommes messagers de plus grand que nous. Alors nous serons témoins et disciples-missionnaires. Ce temps pascal arrive et le monde a besoin de réentendre la puissance de l’Amour divin exprimé par l’offrande absolue de Jésus, mort et ressuscité. La mort n’a pas eu la victoire, la Vie l’a emporté et nous est offerte. Ne soyons pas inquiets d’être le « petit reste » qui porte en cette société la foi reçue dans l’Église depuis deux mille ans. Chacun de nous est une pierre vivante qui porte l’ensemble. Elle est belle notre fraternité. Puissions-nous acclamer Jésus par toute notre vie.

Ô Vierge Marie, nous cheminons en ce carême vers la Pâques de ton Fils, tu accompagnes nos vies par ton intercession auprès du Père, aussi osons-nous te supplier encore pour que des jeunes entendent et accueillent l’appel pour s’engager librement dans une vie consacrée pour le Royaume de Dieu.

Vierge Marie,
Mère du Christ Prêtre,
Mère des prêtres du monde entier,
Vous aimez tout particulièrement les prêtres,
Parce qu’ils sont les images vivantes de votre Fils unique.
Vous avez aidé Jésus par toute votre vie terrestre,
Et vous l’aidez encore dans le ciel.
Nous vous en supplions, priez pour les prêtres,
Priez le père des cieux pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson.
Priez pour que nous ayons toujours des prêtres,
Qui nous donnent les sacrements,
Nous expliquent l’Évangile du Christ,
Et nous enseignent à devenir de vrais enfants de Dieu.
Vierge Marie, demandez vous-même à Dieu le Père,
Les prêtres dont nous avons tant besoin,
Et puisque votre cœur a tout pouvoir sur lui,
Obtenez-nous, ô Marie,
Des prêtres qui soient des saints.
Amen.

+ Mgr Philippe Christory