Ce premier message de la nouvelle année liturgique, je le commence à l’abbaye de Sept-Fons, en Bourgogne, non loin de Moulins. Ce grand monastère cistercien remonte au temps où saint Bernard de Clairvaux établit un nouvel ordre monastique qui couvrit l’Europe entière d’abbayes. Aujourd’hui près de quatre-vingts moines y vivent, beaucoup sont jeunes, y prient les offices qui commencent à 3h30 pour celui de Matines. Si je ne me lève pas si tôt, entendre la cloche appeler à la prière me permet de m’associer un instant à la prière avant de me rendormir. La première célébration est la messe à 6h45 qui intègre l’office des laudes. La nuit est encore là et dans la pénombre commencent les psalmodies en grégorien latin et français, magnifiquement chantées d’un seul cœur. Puis toute la journée est rythmée par les offices jusqu’aux complies à 19h30. Ce qui frappe le retraitant que je suis est l’accueil que l’on me réserve, m’attribuant la place du père Abbé dans les vastes stalles de la chapelle ou encore à la table du réfectoire. Presqu’à tout moment de la journée, on peut voir des moines en prière, dans le cloître face à une statue de la Vierge Marie, ou dans l’église. Le moine existe pour prier, c’est sa vocation et il ne compte pas ses heures de cœur à cœur avec son Seigneur. S’il travaille dans les champs et fabrique des confitures réputées, c’est pour équilibrer sa vie d’homme par l’usage de ses mains et fournir un revenu à l’abbaye qui supporte des frais importants. Il étudie régulièrement l’Écriture Sainte et les sciences théologiques, dans la grande bibliothèque. Là encore c’est dans le silence qu’il accomplit ces tâches en priant intérieurement. Il est heureux de connaître ces moines et ces moniales qui prient pour accompagner la vie de l’Église engagée dans les lieux de souffrance et de mission.

Pour l’Avent 2021, a été renouvelée la traduction française du Missel romain en usage depuis le pape Saint Paul VI. Cette version est partagée avec tous les catholiques des pays francophones du monde entier. S’accorder fut un long travail de précision linguistique en repartant de la version latine de la forme ordinaire du rite romain en tenant compte du vocabulaire sacré et usuel que chaque pays utilise dans sa propre langue. Pour le célébrant, les variantes ne manquent pas et la nouvelle édition lui demandera un peu de temps pour s’y habituer. Pour les fidèles, quelques expressions changent souvent pour être plus conformes à l’original latin. J’aimerais mettre en relief le dialogue entre le célébrant et les fidèles qui conclut l’offertoire juste avant la prière sur les offrandes.

Le célébrant dit « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. »
Le peuple se lève et répond : « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église. »

Ce dialogue engage les fidèles qui s’associent à l’offertoire pour « s’offrir comme hosties vivantes » en entrant dans le sacrifice même de Jésus qui parle par la bouche du célébrant. Le mot hostie vient du latin hostia qui se traduit par victime ou encore victime expiatoire. C’est le sacrifice de la Croix au Golgotha qui se prolonge lors de la messe et qui sauve le monde. La consécration qui suit rend réellement présent le Christ dans l’offrande totale de sa vie. Le peuple, corps du Christ rassemblé, s’offre donc par ce même sacrifice – « mon sacrifice, qui est le vôtre » – avec l’espérance qu’il soit agréable à Dieu. Nous n’offrons plus le sang des animaux comme dans la première alliance, mais nous nous offrons en victimes spirituelles et saintes pour l’ensemble de l’humanité. Saint Paul le demande clairement dans son épître aux romains : « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12,1) Vient alors la réponse du peuple qui exprime par sa louange son adhésion au sacrifice en vue du bien de chacun et de toute l’Église. Nous comprenons que la participation de chacun est entière si elle rejoint dans une même communion l’ensemble du peuple des baptisés. Si certains fidèles reçoivent une part du service liturgique, il n’est pas besoin de faire quelque chose de concret dans la liturgie comme une lecture ou une animation pour y participer, il nous est demandé de nous offrir pleinement dans la lumière de l’Esprit. Saint Paul précise : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rm 12,2) Quand nous nous approchons pour la communion eucharistique, que nous recevons l’hostie qui est le corps de Jésus, rappelons-nous toujours que nous prenons part au sacrifice du Christ et par notre Amen nous disons notre entier assentiment à être sacrifié par amour de Jésus pour le salut de tous. Nous avons cette responsabilité pour « notre bien et celui de toute l’Église ».

Ce nouveau missel romain encourage chacun à apprendre les textes que le prêtre dira de manière renouvelée ainsi que les réponses des fidèles. N’est-ce pas une bonne occasion donnée à tous pour nous interroger sur notre connaissance des mots de la liturgie ? Parfois on fait remarquer que le vocabulaire est difficile voire inconnu. Si nous parlons du Fils consubstantiel au Père dans le credo – encore un mot d’ailleurs à comprendre – que saisissons-nous de la réalité de Dieu Trinité par ce mot ? Faut-il se dire que ce n’est pas important pour croire ou est-ce une bonne nouvelle que chacun doit comprendre ? La foi catholique est intelligible, ce qui veut dire que nous pouvons l’approfondir avec notre raison. Comment faire ? Pourquoi ne pas vous réunir à quelques personnes dans votre maison, autour d’un plat chaud d’hiver, inviter une personne compétente, laïque en responsabilité, mettre le catéchisme sur la table avec la Bible et ce nouveau Missel, en faire la lecture ensemble et s’expliquer mutuellement le sens des mots et leur importance pour la foi ? Osez-le pour vivre plus pleinement votre participation à l’eucharistie.

Par ce message, pour vous donner une première réponse sur ce mot consubstantiel au Père qui dans le Credo de Nicée-Constantinople remplace l’expression de même nature que le Père, nous savons que deux êtres humains sont de même nature, la nature humaine, mais en réalité ils ne sont pas consubstantiels ! Par contre pour les personnes divines, être consubstantielles, c’est avoir la même nature divine et une unique substance. Dieu est Un en trois personnes consubstantielles. C’est le grand Mystère de la Sainte Trinité. Sainte Élisabeth de la Trinité, carmélite, pianiste, mystique du XIXe siècle écrivit une très belle prière : « Ô mon Dieu, Trinité que j’adore ». Comme elle le faisait, nous adorons Dieu avec notre cœur, notre corps, notre esprit et notre intelligence, en tout temps et spécialement lors de l’eucharistie.

Aussi, je vous propose de prier avec elle cette prière merveilleuse, un peu complexe dans son expression spirituelle et théologique, mais qui dévoile toute l’intériorité de l’union que Dieu nous permet avec Lui.

O mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’oublier entièrement pour m’établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité. Que rien ne puisse troubler ma paix, ni me faire Sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère. Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne vous y laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre Action créatrice.

O mon Christ aimé crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre Cœur, je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer… jusqu’à en mourir ! Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me « revêtir de vous-même », d’identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m’envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu’un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur.

O Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire tout enseignable, afin d’apprendre tout de vous. Puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière ; ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement.

O Feu consumant, Esprit d’amour, « survenez en moi » afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe : que je Lui sois une humanité de surcroît en laquelle Il renouvelle tout son Mystère. Et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, « couvrez-la de votre ombre », ne voyez en elle que le « Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances ».

O mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous en moi pour que je m’ensevelisse en vous, en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abîme de vos grandeurs.