Récemment, je suis allé à la rencontre de dix jeunes hommes qui vivent l’année propédeutique à la maison Charles de Foucauld à Saint-Pern, à environ 35 kilomètres de Rennes. L’année propédeutique leur permet d’approfondir leur vie spirituelle, leur connaissance biblique et d’être bien accompagnés pour envisager l’entrée au séminaire. Nous avons vécu une belle soirée d’échanges. Une question me fut posée : quel avenir pour l’Église ? N’est-ce pas la question qui est sous-jacente au synode en cours ? Nous pourrions y répondre par des plans et des organisations. Est-ce là le chemin ? Ne sommes-nous pas plutôt invités à entrer profondément dans l’intimité de Dieu, à nous abandonner à sa volonté, à nous conformer à son appel, à être tout à lui ? Peut-être allez-vous penser qu’il s’agit là de l’appel spécifique des personnes consacrées dans le célibat ? Or aujourd’hui, dans un monde loin de Dieu, dans une société qui ne reconnaît plus son Seigneur, le chemin à prendre n’est-il pas simplement celui de la sainteté ? Celle-ci passe par le choix profond de vivre unis à Jésus. Le pape François parle des « saints de la porte d’à côté », précisant : « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté ‘‘de la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu » (Exhortation apostolique La joie et l’allégresse, n°7)

Comment toucher le cœur de nos contemporains ? Nos discours valent à leurs yeux ce que vaut une opinion parmi d’autres. Notre vision sociale chrétienne est vue comme une alternative, autrement dit elle n’est pas reçue aisément. Comment leur cœur peut-il être rejoint en vérité ? N’est-ce pas par une attitude incontestable, soit celle de la vraie charité ? N’est-ce pas par une parole elle aussi incontestable, celle de Dieu, la Parole des Saintes Écritures ? Il nous semble que le choix fondamental est celui-là. Je me rappelle que Monseigneur Jean-Marie Lustiger, à l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse de Paris en 1997, fit le choix de faire afficher dans les métros de Paris, sur les grands panneaux publicitaires, non pas des photos de jeunes enthousiastes, mais quelques versets bibliques. Ainsi on pouvait lire en trois mètres par quatre les mots « Venez et Voyez ! » que Jésus dit aux disciples de Jean le Baptiste. Ces versets bibliques, personne ne pouvait y être indifférent. Rappelons-nous que le prophète Jonas a traversé la grande ville Ninive, païenne et condamnée par Dieu pour ses infamies, et il y a proclamé la conversion. Il a osé donner le seul message du salut avant la catastrophe. Bouleversé, le roi de Ninive a décrété un jeûne obligatoire pour tous et la conversion de Ninive fut telle que Dieu ne détruisit pas la ville. Elle fut sauvée parce qu’un seul homme accepta de parler au nom de Dieu. Qui seront les prophètes de l’an 2022 qui accepteront de parler au nom de Dieu à leurs contemporains ? Mais comment être entendu ? En associant la charité sans conditions et la parole de vie, celle qui oriente l’homme vers le Seigneur et lui redonne espérance.

Ainsi, si l’Église doit changer, ce sera par des femmes et des hommes qui lui offriront leur vie, quel que soit leur état de vie, qu’ils soient mariés ou célibataires. Beaucoup de catholiques ont aujourd’hui une profonde vie spirituelle. C’est elle qui leur donne la paix, la force de témoigner, le courage d’éduquer des enfants, le zèle des engagements ecclésiaux. C’est aussi la source d’une joie intérieure, celle de demeurer relié au Seigneur, dans le feu du Saint Esprit. La vie spirituelle est une richesse merveilleuse et tout éducateur peut enseigner cette disciple du cœur à autrui, particulièrement aux enfants. L’Église doit aussi changer par des jeunes hommes et femmes qui se consacreront au Seigneur dans le célibat, qui prendront l’habit religieux, soit dans une abbaye, soit des ordres apostoliques ou éducatifs.

Quel avenir pour l’Église me demandaient ces jeunes hommes ? L’avenir est dans le don, le don de soi, le don à Dieu. Quand beaucoup sont en train de spéculer sur le cours du blé ou du baril de pétrole, nous sommes témoins d’une autre richesse, celle de l’amour offert. Déjà, par exemple, des enfants et des mères ukrainiennes sont accueillis en Eure & Loir et notre Église est en relation avec les autorités pour participer à cet accueil. Voici un lieu pour aimer et donner. Nous ne pouvons pas attendre passivement car la société change et notre monde a tant besoin d’espérance.

Dimanche, nous vivrons le troisième dimanche de carême. Tout d’abord ce sera le premier scrutin des catéchumènes que j’ai eu la merveilleuse joie d’accueillir personnellement pour leur appel décisif en la cathédrale voici quelques jours. Ils ont reçu l’étole violette, signe de la pénitence et de la nécessaire conversion pour renaître à la vie nouvelle par leur baptême prochain. Ensuite, ce dimanche sera particulièrement important pour prier et être associés tous ensemble lors de l’eucharistie aux souffrances des victimes d’abus sexuels dans l’Église perpétrés par des clercs et des laïcs. Notre prière ne peut passer sous silence ce drame qui pourrait sembler être derrière nous après le travail de fond de la CIASE, mais ce serait oublier que pour les victimes la peine est toujours là. Chaque communauté sera imaginative pour y être associée. Aussi, est-il bon de rappeler que « l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation » ou INIRR est maintenant en place et qu’elle peut accueillir des demandes. On trouvera ses coordonnées sur le site de notre diocèse. Dans les familles comme dans l’Église et en tout lieu de la vie sociale, il est affirmé que ces abus n’ont aucune légitimité. Comment anticiper pour prévenir ? C’est la question si difficile pour ne pas être seulement dans des actions de sauvetage après les drames.

Le premier scrutin donne à entendre, là où il est célébré, l’évangile de la femme samaritaine au puits de Jacob qui rencontre Jésus assoiffé qui lui demande à boire. Comme il est étrange que ce soit Jésus qui lui adresse la parole ! Par ses mots, Jésus rejoint toutes les souffrances de cette femme d’âge mûr qui a beaucoup enduré la méchanceté des hommes. Elle les fuit en venant à midi en pleine chaleur. Son cœur attend sans espoir et elle rencontre celui qui offre l’espérance. Il l’invite à l’adoration véritable. Son cœur expérimente une libération quand Jésus lui dit tout ce qu’elle a fait. Elle n’en est pas accablée car les paroles du rabbi sont douces et respectueuses. Elles viennent réparer ce qui est brisé en elle. Elles ne l’écrasent pas mais apportent une nouvelle vie. Et si nous prenions un nouvel élan en ce carême pour prier et adorer, en écoutant les mots que l’Esprit nous soufflera ? Dieu recherche un peuple saint d’adorateurs. Serez-vous parmi ceux-ci ?

Puis ces jeunes me posèrent une autre question : quelles sont les joies que vous avez eu comme prêtre ? J’avais peu de temps pour préparer une belle réponse. Me sont venues à l’esprit les réalités suivantes : la douceur et l’encouragement que Dieu me manifeste par sa miséricorde dans mes fragilités ; la présence des frères et de sœurs qui prient avec moi ; la confiance que m’ont faite les fidèles, enfants et adultes ; l’accueil inconditionnel de tant de familles pour des partages voire des vacances ; la fraternité avec des personnes de la rue et des personnes migrantes que je n’aurais jamais rencontrées dans une autre vie ; des projets portés par des équipes zélées et enthousiastes que je pouvais accompagner simplement en leur laissant les rênes ; la joie de parler et de dire la Parole de vie au nom de Jésus ; la joie de célébrer l’eucharistie qui ne cesse de s’approfondir en méditant la présence de Jésus qui s’offre en sacrifice ; la liberté d’aller partout à la rencontre des personnes pour connaître leur vie et parler ensemble de ce qui est essentiel ; la découverte de notre Église dans sa diversité si grande ; l’amitié si fraternelle entre prêtres et entre évêques ; le soutien des laïcs tellement généreux dans les maisonnées et les équipes. Il y aurait d’autres joies qui réalisent bien la promesse de Jésus : « celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19, 29) « C’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement. » (Lc 6, 38) Avec Jésus-Christ, la mesure de joie reçue n’a pas d’équivalent. Reste à chacun d’emprunter le chemin de la sainteté, il est difficile parfois rugueux, mais la joie est la récompense et quelle joie !

Reprenons la prière de Saint Jean Paul II : « Ô Mère de miséricorde, nous confions à Ton cœur et à Ton amour le peuple entier et l’Église de cette terre. Garde-nous de toute injustice, de toute division, de toute violence et de toute guerre. Garde-nous de la tentation et de l’esclavage du péché et du mal. Sois avec nous ! Aide-nous à vaincre le doute par la foi, l’égoïsme par le service, l’orgueil par la mansuétude, la haine par l’amour. Aide-nous à vivre l’Évangile et la folie de la Croix afin de pouvoir ressusciter avec ton Fils à la vraie vie, avec le Père, dans l’unité de l’Esprit Saint. Ô Mère du Christ, sois notre réconfort et donne force à tous ceux qui souffrent : aux pauvres, à ceux qui sont seuls, aux malades, aux non-aimés, aux abandonnés. Donne la paix à notre terre divisée ; et à tous, la lumière de l’espérance. Ainsi soit-il. »

+ Mgr Christory