La vie d’évêque nous réserve des joies simples. À La Loupe, paroisse du père Jean-Pierre, j’ai baptisé trois enfants, Emma, Luca et Luna durant la messe dominicale animée par des fidèles bien préparés accompagnés par un violoncelle. Quelle délicatesse dans la demande de Luna, âgée de trois ans peut-être, qui me dit : « pas dans les yeux ! ». Je m’appliquais pour lui offrir ce cadeau, devenir enfant de Dieu et membre de l’Église. Ainsi la parole vivante fait son chemin au sein des familles qui saisissent la beauté du don de Dieu, même si tous ne pratiquent pas régulièrement. Dans chaque paroisse, nous marchons et les accompagnons jusqu’à la découverte de sa Présence.
En lisant l’exhortation apostolique du pape François « l’Évangile de la joie », je parlais dernièrement de la transformation missionnaire qui demande une conversion spirituelle des membres de l’Église pour que toute la construction s’élève et que l’évangile soit désirable pour les gens qui nous voient vivre sans qu’ils ne connaissent le Christ, source de notre communion. Comment avancerons-nous en cette rentrée ? Tout d’abord dans nos vies personnelles, avons-nous modifié quelque chose de nos habitudes spirituelles ? Avons-nous pris des décisions, fruits de nos méditations estivales ? Ne doit-on pas oser aller plus loin dans l’adoration comme Marie de Béthanie et dans le service comme Marthe sa sœur ? En communauté paroissiale ou éducative, au sein de nos établissements scolaires, nous est-il possible de progresser dans nos relations fraternelles et la préparation de nos activités en invoquant le Saint Esprit à chaque rencontre ? Chacun regardera en vérité son attitude, son agenda, ses engagements pour se rendre disponible aux nouveaux appels de l’Esprit. Rappelons-nous que choisir c’est renoncer. Prendre du temps pour le Seigneur peut vouloir dire sacrifier des activités non indispensables. Marcher à la suite de Jésus-Christ, n’est-ce pas renoncer aux autres chemins mondains qui nous attirent par les gratifications qu’ils procurent ? La voie du Seigneur nous apparaît ardue car nous ignorons où il nous conduit et nous ne maîtrisons pas vraiment l’itinéraire, ce qui demande de poser un acte de confiance avec foi. Notre expérience passée nous permettra-t-elle de poser cet acte de confiance et de courage ?
Nous pourrions oser une comparaison. D’ici quelques semaines, les services de l’État installeront d’immenses échafaudages dans le transept sud de la cathédrale de Chartres, pour que la restauration se poursuive. Dans deux années, ce sera le tour du transept nord. Simultanément le grand orgue sera intégralement démonté pour être restauré. Ceci durera trois années au minimum en espérant que nous récupérerons cet instrument et cet espace pour célébrer le jubilé de 2024, les mille ans de la crypte, lieu du pèlerinage à Notre-Dame sous terre. L’effort pour vivre nos liturgies avec la contrainte de ces travaux est conséquent mais nous l’acceptons car c’est en vue d’un plus grand bien pour l’avenir. La beauté du plus grand transept de France en sera magnifiée. Cela nous demandera de la patience. La patience ! Il en faut : dans la vie courante, familiale, conjugale et dans la vie spirituelle.
Nous sommes mi-septembre et l’Église catholique ouvrira en octobre « un synode sur la synodalité » qui durera deux années pour que chaque église locale participe et apporte sa contribution. Qu’est-ce que la synodalité ? C’est une attitude dynamique qui consiste à marcher en église de manière communautaire, c’est un art de cheminer ensemble à l’écoute du Saint Esprit. Dans l’exhortation « l’Évangile de la vie » le saint Père parle du rôle extraordinaire des agents pastoraux. Nous pourrions les appeler dans notre diocèse de Chartres « les laïcs en mission ecclésiale » auxquels nous pouvons ajouter les fidèles engagés dans nos paroisses et au sein des mouvements ecclésiaux. Si certains membres, des clercs et des laïcs, ont blessé des personnes et ont terni profondément l’image de l’Église par leurs péchés, beaucoup œuvrent avec soin et amour pour le bien des autres afin d’animer la vie de l’Église. Le pape écrit des chrétiens : « ils aident beaucoup de personnes à se soigner ou à mourir en paix dans des hôpitaux précaires, accompagnent les personnes devenues esclaves de différentes dépendances dans les lieux les plus pauvres de la terre, se dépensent dans l’éducation des enfants et des jeunes, prennent soin des personnes âgées abandonnées de tous, cherchent à communiquer des valeurs dans des milieux hostiles, se dévouent autrement de différentes manières qui montrent l’amour immense pour l’humanité que le Dieu fait homme nous inspire » (EG 76) Ayant voyagé récemment au Gabon et au Burkina Faso, je l’atteste et je m’émerveille. Certes l’Église n’a pas à faire sa propre promotion, elle n’est pas un produit à vendre car elle est une famille composée d’hommes et de femmes qui recherchent dans la méditation de la Parole un chemin de vie pour promouvoir une humanité solidaire et attentive à chacun. Néanmoins, nous vivons comme chrétiens au cœur d’une société en forte mutation, ballottée par des courants d’idées diffusées sur des réseaux sociaux sans contrôle ni recul, et nous sommes atteints par le surcroît de critiques et les jugements abrupts qui s’y expriment. Le socle traditionnel de la famille est ébranlé par de nouveaux modes de vie. Cela façonne de nouvelles relations interpersonnelles et nous pourrions être détournés de la source de vie qu’est l’évangile. Ici encore le pape François note que « nous sommes tous de quelque façon sous l’influence de la culture actuelle mondialisée qui, même en nous présentant des valeurs et de nouvelles possibilités, peut aussi nous limiter, nous conditionner et jusqu’à nous rendre malades. » Notre foi est éprouvée, nos convictions sont fissurées, le relativisme s’impose en faisant de la vérité une construction individuelle avalisée par la loi civile votée par une majorité. Les médias travaillent la conscience des citoyens qui ne cesse d’évoluer permettant de qualifier de bien un mal, comme l’avortement. Le pape poursuit « Ce relativisme pratique consiste à agir comme si Dieu n’existait pas, à décider comme si les pauvres n’existaient pas, à rêver comme si les autres n’existaient pas, à travailler comme si tous ceux qui n’avaient pas reçu l’annonce n’existaient pas. » et il ajoute « Il y a une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. » Or notre vie nous permet d’expérimenter que les autres sont là, que beaucoup ont un désir de communion, de vie collective et d’entraide. De nombreuses personnes se donnent, qu’elles soient chrétiennes ou non, car nos cœurs humains sont créés par Dieu à son image, pour aimer et être aimés. Nous aspirons au bonheur qu’offre le don de soi. Reste que la mission nous appelle pour que la Sagesse de Dieu guide les hommes de ce temps dans leur quête légitime d’une société meilleure et humaine.
La marche synodale que le pape appelle de ses vœux aura plusieurs étapes et commencera dans chaque diocèse le dimanche 17 octobre 2021, journée particulière puisque ce dimanche est choisi pour permettre un accueil des pauvres que chaque communauté fera selon son contexte. Nous ne sommes pas appelés à élaborer un concept théorique sur la synodalité. Il s’agit de vivre nos activités habituelles en étant vigilant à trois points : la communion, la participation et la mission. Tout groupe paroissial, que ce soit une chorale, une équipe pastorale paroissiale, une équipe de vie, un groupe biblique ou une aumônerie pourra invoquer l’Esprit Saint, reprendre la prière du synode, lire et partager à partir de la Parole de Dieu. Il me semble que nous sommes déjà dans ce processus synodal qui permet une participation toujours plus large des fidèles chrétiens. L’eucharistie est le point d’orgue où chaque fidèle participe en s’associant au sacrifice du Christ et loue Dieu le Père pour ses bienfaits. D’ici fin février 2022, nous collecterons vos témoignages sur votre façon de vivre en Église vos relations fraternelles en vue de la mission. Vous nous direz quel fruit grandit et vous partagerez comment vous procéderez dans vos échanges pour élaborer des projets nouveaux. Ce sera une période enthousiasmante si nous nous encourageons les uns les autres à exprimer nos idées et même nos rêves quant au fonctionnement de la paroisse, si nous développons des lieux de parole et de conversation entre tous pour suivre les appels du Saint Esprit. Le voulez-vous ? Osez ce sera un beau chemin synodal.
J’aimerais reprendre la prière du père Louis-Joseph Lebret (1897-1966) que je vous donnais il y a quelques semaines car elle exprime une grande attente :
« Ô Dieu, envoie-nous des fous, qui s’engagent à fond,
qui oublient, qui aiment autrement qu’en paroles,
qui se donnent pour de vrai et jusqu’au bout.
Il nous faut des fous, des déraisonnables,
des passionnés, capables de sauter dans l’insécurité :
l’inconnu toujours plus béant de la pauvreté.
Il nous faut des fous du présent, épris de vie simple,
amants de la paix, purs de compromission,
décidés à ne jamais trahir, méprisant leur propre vie,
capables d’accepter n’importe quelle tâche,
de partir n’importe où, libre et obéissants,
spontanés et tenaces, doux et forts.
Ô Dieu, envoie-nous des fous !
Ainsi soit-il. »
+ Mgr Philippe Christory