Ce jour est fêtée Notre-Dame de Lourdes. Quand nous évoquons cette ville des Pyrénées encaissée entre les montagnes et traversée par le Gave où vécut la famille Soubirous, nos regards se portent immédiatement sur les malades. Aujourd’hui, nous reconnaissons soixante-cinq miracles attestés par des études médicales extrêmement étayées, et des milliers de personnes disent y avoir été guéries. Dans le passé, les pèlerins pouvaient contempler étonnés les béquilles abandonnées par leur propriétaire que l’on suspendait au-dessus de la grotte. À Chartres, l’hospitalité est une institution très vivante, animée par des centaines de membres, qui offre à de nombreux malades la joie de vivre cinq journées spirituelles et fraternelles à Lourdes, où la présence de la Vierge est palpable, où la simplicité de sainte Bernadette rejoint chacun dans sa situation sociale propre. La fête de ce jour n’est-elle pas une merveilleuse occasion d’une action de grâce pour l’amour que Dieu offre à chacun ? Elle nous invite à nous questionner sur le soin que nous donnons aux personnes fragiles et dépendantes. Malheureusement, un scandale éclate dans les médias relatant des maltraitantes imposées au sein de maisons de retraite. C’est un drame très choquant. Nous avons conscience que ce n’est pas l’ensemble de ces maisons qui sont mises en cause. Le Christ n’a-t-il pas dit « tout ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez. » (Mt 25 ,40) ? Ce pilier de la vision chrétienne semble s’effriter sous la poussée des intérêts économiques.

Dans mon dernier message, je vous parlais des chrétiens persécutés. Le point commun de leurs vies fut la charité. Au cours de vingt siècles de chrétienté, les disciples de Jésus ont multiplié les œuvres de bienveillance. Comme leur maître guérissait de nombreux malades, les apôtres reçurent ce charisme et usèrent de leurs talents pour mettre en œuvre ce commandement étonnant : « guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux. » (Mt 10, 8) Ils le firent par des actes prophétiques. Voici les faits que saint Luc, médecin de son état, nous raconte : « On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris » (Act 5, 15). Depuis les premiers siècles de notre ère, les chrétiens continuèrent ces soins en développant un réseau incroyable d’abbayes, d’hôtels-Dieu et de dispensaires où les malheureux trouvaient le gîte et quelques soins. Ainsi, il est impossible de compter les milliers de saints et de saintes qui se donnèrent pour les autres et qui fondèrent des œuvres de charité. C’est l’Église qui voit dans le pauvre le visage et la présence du Christ. Sainte Teresa de Calcutta demandait aux missionnaires de la charité de soigner chacun comme elles le feraient pour Jésus. À moi aussi, une sœur me dit dans un abri de New-York : « ce café que tu prépares pour ces personnes cassées par une vie déstructurée, prépare-le comme si tu l’offrais à Jésus. Sers ces hommes comme tu servirais le Christ. » Quelle leçon de vie spirituelle ce fut pour moi !

Au XXIe siècle, le soin des personnes nécessite des techniques et des machines de haute qualité et de grands prix dans les hôpitaux. Tout se fait selon des protocoles contrôlés. Des chartes garantissent la sécurité du malade. Mais n’a-t-on pas perdu notre âme et notre simplicité, celle du bon Samaritain qui ne s’encombre pas de précautions en installant ce moribond sur sa monture ? En d’autres temps, saint Vincent de Paul offrait un lit au malheureux, lui prodiguait quelques soins et offrait des paroles consolantes. Pour le reste, il s’en remettait à la Providence divine. La mort faisait partie de la vie courante, elle était au rendez-vous quand Dieu le décidait. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui cherchent à mettre la main sur la vie. Pourtant elle reste un don à choyer quand elle est là, puis à accepter de remettre dans les mains de Dieu le temps venu.

La technique, si utile soit-elle, ne peut pas remplacer l’amour. Au sein de notre Église catholique, parmi les chrétiens, on peut trouver des brebis galeuses et des loups. Paul nous a prévenus : « après mon départ, des loups redoutables s’introduiront chez vous et n’épargneront pas le troupeau. Même du milieu de vous surgiront des hommes qui tiendront des discours pervers pour entraîner les disciples à leur suite. » (Act 20, 29-30) Quand au nom de Jésus nous voulons faire le bien, le démon n’est pas loin pour nous décourager ou pire pour contredire notre élan et le briser. Ses armes préférées sont l’esprit de division et le découragement. Face à cela, nous cherchons à aimer. Il est heureux d’être entre frères et sœurs attachés à la Parole de Dieu pour discerner et persévérer vers le bien espéré. Nous constatons que la charité en acte est le propre de l’activité ecclésiale depuis deux mille ans. Nos cœurs ne sont-ils pas sensibles et bien attristés devant les scènes de famines, les logements misérables, les enfants sans école, les vieillards abandonnés ? La foi ne nous tient-elle pas éveillés face aux personnes en situation de handicap ? La maltraitance est insupportable et elle éveille notre compassion pour les personnes affligées mais aussi des sentiments violents à l’encontre de ceux qui profitent de la fragilité d’autrui pour créer un vaste business aux dépens de ces personnes. Cela doit être mis en lumière pour façonner un monde meilleur. Le Christ nous invite à venir consommer sans argent, sans payer, gratuitement. Me revient à l’esprit l’association « À bras ouverts » dont l’objet est d’amener des personnes dépendantes d’un handicap pour des sorties et des week-end, en les réjouissant et en offrant du repos aux aidants à commencer par les parents. La présence du Christ, en notre cœur, nous conduit à considérer les autres avec amour et à nous pencher sur la souffrance. Cultiver l’amour pour être authentiquement humain, n’est-ce pas le projet de tout vie ?

Récemment des responsables d’associations diocésaines engagées dans l’entraide et le soutien des personnes en précarité se sont retrouvés pour méditer le récit du bon samaritain (Lc 10, 25-37) et prier le Saint Esprit afin d’entrevoir comment cette parabole de Jésus éclaire les actions menées. Ce fut une rencontre priante et fraternelle non pour dire ce qui se fait mais pour écouter la voix du Saint Esprit et être conduits ensemble sur un chemin nouveau. Les mots qui ressortent sont l’amour, le relai, être ensemble, l’écoute, faire avec…. Cet échange fut dans l’esprit du synode, non point un espace où chacun viendrait présenter voire défendre sa structure associative mais la communion familiale de frères et sœurs désireux de se mettre à l’écoute du Seigneur Jésus. Certes, cela n’est pas facile car il faut se mettre en route comme Abraham sans savoir vers où aller : « quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai » (Gn 12, 1). C’est un défi que de lâcher nos sécurités et nos ancrages. Nous préférons prévoir et nous organiser avant un voyage, à fortiori un changement de vie.

Le synode actuel de l’Église n’est-il pas une merveilleuse occasion d’être éclairés par l’Esprit Saint avec nos frères et sœurs plus pauvres ? Peut-on se laisser guider sur des chemins nouveaux pour prendre soin d’eux, être auprès d’eux, les accompagner, intégrer leurs désirs et finalement créer ensemble une communauté de vie ? Comment permettre à toute personne d’être à son écoute et entendre ses idées pour élargir nos projets ? Notre rêve serait que surgissent de nouveaux Vincent de Paul, Jeanne Jugan, Camille de Leslis, Jean de Dieu, Teresa de Calcutta, etc. Possiblement, ils sont déjà nés et nous devons ouvrir largement nos cœurs et nos groupes pour qu’ils prennent leur place dans l’Église et apportent leur nouveauté. Tout chrétien doit savoir se laisser interpeller et bousculer. L’accepterons-nous ?

Invoquons Notre-Dame de Lourdes, mettons-nous sous sa protection. Qu’elle vienne soulager la souffrance des malades par sa présence consolante. Que tous les fidèles qui prient volontiers le chapelet le disent en ce jour afin que nous tissions des liens de compassion et de consolation entre nous.

Je vous propose la prière à Notre-Dame de Lourdes de saint Jean-Paul II :

« Je te salue Marie, Femme de foi, première entre les disciples ! Vierge, Mère de l’Église, aide-nous à rendre toujours compte de l’espérance qui est en nous, ayant confiance en la bonté de l’homme et en l’amour du Père. Enseigne-nous à construire le monde, de l’intérieur : dans la profondeur du silence et de l’oraison, dans la joie de l’amour fraternel, dans la fécondité irremplaçable de la Croix. Sainte Marie, Mère des croyants, Notre-Dame de Lourdes, prie pour nous. Ainsi soit-il ! »

+ Mgr Philippe Christory